Prostitution, patriarcat et pouvoir militaire

Publié dans Le Fusil brisé, Décembre 2013, No. 98

Embrace Dignity (Embrasser la dignité) est une organisation des droits humains en Afrique du Sud, préconisant des réformes sociales et légales. Elle fait campagne pour la reconnaissance de la prostitution comme une violence et a pour but de réduire la demande de sexe commercial. Reconnaissant les maux de la prostitution, elle offre du soutien aux femmes qui cherchent à s’en sortir grâce à un système autogéré. C’est pourquoi nous attendons préparons et accueillerons avec plaisir les militants nonviolents internationaux et locaux incarnant le thème de la conférence : « de petites actions peuvent contribuer à construire de grands mouvements pour le changement ».

Dans notre pays, il est plus fréquent qu’une fille soit violée plutôt qu’elle n’aille au collège. Si des filles entreprennent de s’appliquer à leurs études, il est invraisemblable qu’elles puissent trouver un travail. Les violences contre les femmes les empêchent d’obtenir une éducation, limitent leur activité économique et sapent leur capacité à choisir le nombre d’enfants et la période pour les avoir. C’est aussi nuisible pour leur bien être physique, social, émotionnel et psychologique – pour beaucoup c’est aussi la cause directe d’handicap ou de mort. Cela représente aussi un énorme coût, incluant les dépenses de santé et de maintien de l’ordre. Chaque jour, des milliers de femmes rurales d’Afrique du Sud émigrent vers les centres urbains, dans l’espoir d’opportunités économiques, rejoignant souvent les rangs des chômeurs. La situation est aggravée par les violences domestiques ou celles liées au genre et dans ces conditions, la prostitution prospère.

La prostitution est une forme enracinée d’exploitation sexuelle, qui alimente la pauvreté, les inégalités et enterre les constructions sociales. L’industrie du sexe est sans équivoque dangereuse. Différents degrés d’abus, de coercition et de violence sont expérimentés mais toutes les personnes prostituées sont physiquement et psychologiquement blessées dans ce processus. Il a été prouvé que le niveau de stress post traumatique des femmes prostituées est équivalent à celui des anciens combattants. Une fois dans l’industrie du sexe, les femmes ont recours à l’alcool et aux abus de drogues pour supporter les détresses mentales quotidiennes qui résultent de leur propre dissociation avec le reste du monde.

La prostitution a aussi un impact négatif sur le reste de la société. Si des femmes peuvent être vendues et achetées, cela donne le message que toutes les femmes sont potentiellement à vendre, un concept qui s’insinue dans les mentalités sociales. L’Afrique du Sud est une société profondément patriarcale, dans laquelle la masculinité implique souvent de conquérir ou contrôler les femmes. La perception que la masculinité et la violence sont intimement entrelacées reste dominante. Les jeunes garçons craignent que montrer de la sensibilité ou de la gentillesse ne les émascule et ne les fasse apparaître comme des faibles.

La guerre nourrit l’image d’une masculinité sans émotion, dominante et hyper violente. En fait, la militarisation des sociétés et la guerre jouent un rôle énorme pour approvisionner la prostitution. Une rupture des structures sociales, les crises économiques et une affluence d’occupations pour des soldats (et même des forces de « maintien de la paix ») aboutissent à une croissance drastique de la demande de prostitution – un fardeau souvent porté par les femmes des nations les plus pauvres. Certains démontrent que l’acte de guerre créé des sentiments individuels d’impuissance, qui doivent être reconquis à travers la domination de femmes vulnérables.

Ce n’est pas une nouvelle information. Durant la deuxième guerre mondiale l’empire japonais a créé un corps forcé de prostituées au service des soldats, avec des milliers de femmes « de confort » dans les territoires qu’il occupait. L’armée américaine a une histoire particulièrement damnée en matière de mauvais usage des femmes des pays occupés, tout comme la pratique du R&R (« repos et récupération »). Les bordels à proximité des casernes étaient encouragés par les chefs militaires, avec capotes anglaises et escortes de sécurité souvent offertes en primes.

Autrefois, des arguments étaient mis en avant pour expliquer les yeux aveugles et les mains permissives des gouvernements et chefs militaires – des activités sexuelles effrénées surviendraient d’une façon ou d’une autre, ainsi il pourrait bien en résulter quelque « récompense » financière pour l’individu acheté plutôt que des manifestations de viols. Cela créé une distinction fallacieuse entre viol et prostitution, quand dans les faits les deux sont intimement liés et complémentaires. Les deux agissent conformément au concept de droit au plaisir, encouragé par les chefs militaires et l’hégémonie masculine. La prostitution approuvée par le gouvernement a aussi été rationalisée comme utile pour développer un sens nécessaire de fraternité et de camaraderie entre soldats – mais rien à propos des droits des femmes à l’égalité, au bonheur et à la dignité humaine ! C’est aussi une injustice pour les hommes, dépeints comme incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles violentes.

L’un des résultats de l’organisation militaire de la prostitution pour les soldats « repos et récupération » c’est la création d’une économie de la prostitution. Même après le départ des militaires, des entrepreneurs en « commerce » maintiennent une industrie du tourisme sexuel. C’est un héritage économique et générationnel, devenu une option dominante pour l’emploi et pour l’appauvrissement des femmes. Il nait aussi des enfants (au destin d’orphelins de père), portant le stigmate de l’illégitimité, et souvent entrant dans ce commerce plus tard dans leur vie. L’occupation récurrente de parties du Sud-Est asiatique par l’armée américaine montre peut-être le lieu où ce phénomène est le plus évident.

Alors que l’Afrique du Sud connait une affluence considérable de victimes de ce trafic international, Embrace Dignity a réalisé la signification du commerce « domestique ». Selon le Protocole de Palerme pour la prévention, la suppression et la sanction du commerce d’êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants, une déclaration ratifiée par l’ONU, le trafic est défini comme : « le recrutement, la déportation, l’hébergement ou la réception d’êtres humains, par des moyens de menaces, d’usage de la force ou autres formes de coercition, d’enlèvement, de fraude, de tromperie, d’abus de pouvoir, d’abus de faiblesse, en donnant ou recevant des paiements ou des bénéfices pour acquérir le consentement d’une personne qui détient le contrôle sur une autre personne, dans un but d’exploitation. » Si une femme de la campagne voyage vers une grande cité avec une promesse d’emploi dans le nettoyage, mais parvient à trouver ce qu’elle attend pour gagner de l’argent par la prostitution (même si elle n’y a pas été contrainte physiquement), elle peut être identifiée comme une victime du trafic. Elle a été déplacée par fraude ou tromperie, le plus vraisemblablement en raison d’un abus de sa position de faiblesse.

L’Afrique du Sud n’est pas en guerre mais un homme sur trois a violé une femme et la violence y est considérée comme l’un des quatre facteurs premiers nuisibles à la santé. Renforçant le patriarcat, les industries comme les mines, le transport routier et le secteur militaire occupent une part significative de la force de travail nationale masculine. Notre histoire et un système de migrations de travail continuel laissent beaucoup de femmes responsables de famille pendant que leurs partenaires sont éloignés. La pression familiale, la pauvreté, la violence et un manque d’autres choix causent souvent cette vulnérabilité et ces trafics d’êtres humains.

 Embrace Dignity plaide pour un modèle légal connu comme une décriminalisation partielle. Cela décriminalise la personne achetée afin de lui ouvrir un droit d’accès aux services vitaux, de diminuer la stigmatisation et d’augmenter les chances de rechercher une forme alternative de revenu. Une dimension de bien-être social est nécessaire pour cela, avec le soutien du gouvernement fournissant une porte de sortie. D’autre part, l’acheteur, les tiers marchands (maquereaux, maquerelles et trafiquants) et l’industrie du sexe restent criminalisés. Cette approche reconnait que l’approvisionnement en personnes prostituées n’existe que parce qu’il y a une demande de sexe monnayé. Sont aussi reconnues dans la prostitution les maux internes et les inégalités de genre et l’attribution d’une peine appropriée pour les exploiteurs.

L’IRG peut participer à une campagne nonviolente vers le démantèlement des relations patriarcales et la transformation des relations de genre, de sorte que les hommes et les femmes soient vraiment égaux et puisse entrer dans des rapports mutuels d’épanouissement, libres de toute exploitation. Cela enrichira également les efforts pour le maintien de la paix, apportant au débat les voix des femmes trop souvent absentes et contribuant à une diminution de la violence sexuelle.

Zara Trafford

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