Bahreïn: “une loi martiale non déclarée”

Un exercice d'entraînement impliquant la police bahreïnite et américaine. Source: flickr
Un exercice d'entraînement impliquant la police bahreïnite et américaine. Source: flickr
Author(s)
Husain Abdulla

Publication d’origine sur OpenDemocracy.

Il y a six ans, Nicholas Kristof, journaliste au New York Times , décrivait son expérience , lorsqu'il avait été détenu à la suite des manifestations du Printemps Arabe à Bahreïn ,comme étant une brève perception, “à travers une brume de gaz lacrymogène , de ce qui ressemblait à un état policier.”

Kristof expliquait comment même des membres du personnel médical comme le Dr. Ali al-Ekri – temporairement en liberté mais faisant face à un emprisonnement de longue durée- étaient torturés et poursuivis en justice pour avoir soigné des manifestants blessés.

En notant que, si c'était la Syrie ou l'Iran qui commettaient de tels abus, " la Maison Blanche résonnerait de leur tonnerre d'indignation", Kristol a exhorté les Etats-Unis à condemner d'une manière aussi forte la répression exercée par des alliés comme le Bahreïn.

Malheureusement, il aurait pu écrire ces mêmes mots hier.

Mais cela ne veut pas dire que rien n’a changé. Depuis 2011, ce qui ‘ ressemblait à un état policier’ s’est métastasé. Pendant que le Dr al.Ekri subissait cinq ans de prison, sa profession- les services médicaux- avait été placée sous le contrôle direct des militaires. La police dirige maintenant les services d’ambulance.

L’expansion incessante de l’appareil de sécurité -ou une militarisation incontestée – a infecté de plus en plus tous les secteurs de la société Bahreïnienne. En fait, elle est maintenant en voie d’être inscrite dans la constitution elle-même du pays.

Le 3 avril 2017, le Roi du Bahreïn a confirmé un amendement constitutionnel qui avait pris longtemps à être préparé, et qui était déjà approuvé par les deux chambres du parlement qui acceptent sans discuter les lois de ce royaume: les tribunaux militaires peuvent maintenant juger les civils qui sont ‘ accusés de menacer la sécurité de l’état.”

Dans le passé, la constitution de 2002 empêchait les tribunaux militaires de tenir des procès contre des civils , sauf si le roi avait déclaré la loi martiale ou un Etat de Sécurité Nationale. C'est ce qui s'est produit en 2011, quand le gouvernement a installé des tribunaux militaires pour accélérer la condamnation de manifestants , de défenseurs des Droits de l'Homme, de docteurs, et de politiciens.

En fin de compte,- après une prestation de première classe en théâtre judiciaire autoritariste, débordant de témoignages obtenus par la contrainte et avec des caisses entières de preuves non scellées et non répertoriées,- des centaines de personnes ont été emprisonnées sous des accusations découlant de l’exercice de la libre expression, de l’association de personnes, et de la réunion de personnes.

Les tribunaux fantoches ont violé de façon si évidente les pratiques de procédure équitable que la Commission Indépendante d’Enquête (BICI), acclamée par les USA, a demandé instamment au gouvernement d’ordonner des revues immédiates par des juges civils et, en fin de compte, de commuer toutes les condamnations ‘ où les principes fondamentaux de procès équitable n’avaient pas été respectés’ et ‘ pour les infractions qui impliquaient une expression politique.’

Un an plus tard, à sa seconde Revue Universelle Périodique des Droits de l’Homme par les Nations Unies, le Bahreïn a accepté les nombreuses recommandations des autres états qui répétaient ces propositions, y compris celle qui provenait de l’Irlande et qui demandait l’interdiction précise de ‘juger des civils par des tribunaux militaires à l’avenir ‘.

Maintenant, au lieu de remplir aucune de ces obligations de réforme, le gouvernement a choisi de conduire le pays sur une voie de régression sans précédent de plus en plus loin de la démocratie- celui d’ intégrer l'autocratie militaire au sein même de l'état. Les militants ont simplement décrit ce développement comme une 'loi martiale non déclarée'.

Et pourtant cet amendement ne surprend pas nécessairement ceux qui sont familiers avec les tendances récentes au sein des secteurs de la justice criminelle et de la sécurité à Bahreïn.

Ainsi qu’on l’a noté ci-dessus, le gouvernement a graduellement intégré le dispositif de sécurité au sein des secteurs clés de la société et même des services publics de base, comme les services médicaux. En janvier 2017 -le même mois où le Roi Hamad est censé avoir proposé l’amendement des tribunaux militaires- les autorités ont également rétabli les pouvoirs d’arrestation au domicile de l’Agence Nationale de Sécurité ( NSA) , la police secrète du Bahreïn.

Tout comme l'amendement, cette décision à la fois élargissait le rôle des forces de sécurité dans les affaires quotidiennes et en même temps contrevenait à un engagement précédent de réforme . En fait, la décision antérieure du gouvernement de retirer à la NSA ses pouvoirs d'arrestation après ses implications dans une torture systématique, des détentions arbitraires, et des meurtres extrajudiciaires en 2011, était une des seules deux recommandations de la BICI qui aient été pleinement mises à effet.

Dans les quelques semaines qui ont suivi la restitution à la NSA de ses pouvoirs, nous avons vu une illustration violente de l’état militaire grandissant au Bahreïn, en même temps que de la convergence de ces diverses excroissances de la structure antérieure de surveillance et d’intimidation.

Au milieu de la nuit du 26 janvier 2017, des membres des services de sécurité- vêtus des masques noirs et des tenues civiles que les brigades de la NSA avaient l’habitude de porter en 2011- sont entrés dans le village de Diraz et ont pris position près de la demeure du Sheikh Isa Qassim, un des hommes religieux Shia les plus connus du Bahreïn .

En juin 2016, après que le gouvernement ait annoncé qu’il avait dépouillé Sheikh Qassim de sa citoyenneté et ait commencé à le poursuivre en justice sous des inculpations qui relevaient de ses pratiques religieuses traditionnelles, des centaines de manifestants avaient entamé un sit-in pacifique autour de son domicile. Les forces de sécurité du Bahreïn avaient depuis bouclé le village, restreint l’accès pour les non-résidents, et même imposé des fermetures d’ acs à l’ internet , ainsi que d’autres tactiques similaires à un siège.

Mais cette nuit-là , les autorités se sont approchées des tentes où les manifestants dormaient et ont ouvert le feu avec des balles réelles. Mustafa Hamadan, âgé de 18 ans, a reçu une balle dans la nuque. Un secouriste qui était dans les parages a essayé de lui donner des soins d’urgence , mais la blessure était trop grave. Comme ils craignaient d’appeler une ambulance, car le service ambulancier était maintenant dirigé par la police, ils ont envoyé d’urgence Hamadan dans un hôpital privé.

Une fois arrivé là, cependant, les membres du personnel avaient reçu des ordres de ne pas donner de soins aux personnes suspectées d’être des manifestants sans que les autorités soient présentes. En désespoir de cause, avec Hamadan qui perdait son sang, son frère l’emmena au plus grand hôpital public de Bahreïn, qui était maintenant dirigé par la police. Le temps qu’il y arrive- et tandis que son frère était interrogé par les membres du service de curité - Hamadan était tom en coma .Il est mort le mois dernier.

Le secouriste qui avait pris soin de Hamadan sur les lieux a été arrêté et, à ce qu‘on sait, il est encore en détention.

C’est le visage du nouvel état militaire du Bahreïn: un adolescent tué par balle par la police secrète, à qui le système hospitalier maintenant militarisé a refusé des soins médicaux, et le secouriste qui l’a aidé qui va probablement être jugé par un tribunal secret. On peut remarquer que c’est aussi le même système militaire que les USA et le  Royaume-Un i ont récompensé avec de nouvelles ventes d’armes et une coopération encore accrue.

Tant qu’il n’y aura pas de condamnation internationale vigoureuse et coordonnée ,le processus de militarisation continuera. On peut se demander quel secteur va suivre : l’éducation ? le commerce ?l’athlétisme ?

Si cela arrive , la prochaine fois que le Roi Hamad enfile un uniforme militaire, il n’aura plus besoin de prétendre qu’il dirige une ‘ monarchie constitutionnelle ‘ - il aura transformé Bahreïn en une dictature militaire de plus .

Information sur l'auteur

Husain Abdulla, originaire du Bahreïn , est le fondateur et le directeur général du groupe ‘ Les Américains pour la Démocratie et les Droits de l’Homme au Bahreïn’ (ADHRB).

Traduction: John Bogard

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