La Turquie défie la Cour européenne des droits de l'homme

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18 mois après la décision de CEDH, Osman Murat Ülke est renvoyé en prison

Le 24 janvier 2006, la Cour européenne des droits de l'homme s'est prononcé en faveur de l'objecteur de conscience turc Osman Murat Ülke. En résumé : Osman Murat Ülke s'est plaint des poursuites et condamnations du fait de ses convictions pacifistes en tant qu'objecteur de conscience. Dans sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, il a invoqué les articles 3 (relatif à l'interdiction de traitements inhumains et dégradants), 5 (relatif au droit à la liberté et à la sécurité), 8 (relatif au respect du droit à la vie privée et familiale) et 9 (relatif au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans son verdict, la cour indique : "Les multiples poursuites pénales dirigées contre le requérant, les effets cumulatifs des condamnations pénales qui en résultent, l’alternance continue des poursuites et des peines d’emprisonnement, combinés avec la possibilité d’être poursuivi tout au long de sa vie, s’avèrent disproportionnés au but d’assurer le service militaire. Elles reviennent plutôt à réprimer la personnalité intellectuelle du requérant, à lui inspirer des sentiments de peur, d’angoisse et de vulnérabilité propres à l’humilier, à l’avilir et à briser sa résistance et sa volonté. La clandestinité et même la « mort civile » auxquelles le requérant a été astreint sont incompatibles avec un régime de répression dans une société démocratique. Par conséquent, la Cour estime que, pris dans leur ensemble et compte tenu de leur gravité et de leur caractère répétitif, les traitements infligés au requérant ont provoqué des douleurs et souffrances graves, qui dépassent l’élément habituel d’humiliation inhérent à une condamnation pénale ou à une détention. Force est de considérer l’ensemble de ces actes comme des traitements dégradants au sens de l’article 3 de la Convention." (lire l'Objo-Info no 17, février 2006, en anglais uniquement)

Cependant, rien n'a changé depuis : tout en payant la compensation financière due à Osman Murat Ülke, la situation de ce dernier n'a pas évolué jusqu’en juin 2007. Il a du vivre plus ou moins clandestinement sans papiers officiels, ne pouvant ni être embauché légalement, ni se marier, ni même être reconnu comme père de son enfant. Au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe – instance de contrôle des arrêts définitifs de la Cour européenne des droits de l'homme – la Turquie a joué la montre.

Lors de leur réunion du 4 avril 2007, les délégués du Comité des ministres :



  1. "déplorent à nouveau l’absence de mesure individuelle prise à ce jour par les autorités turques visant à mettre fin à la violation constatée par la Cour dans la mesure où le requérant fait toujours l’objet d’un mandat d’arrestation pour l’exécution de sa peine ;
  2. regrettent qu’aucune information n’ait été fournie sur les mesures générales prises ou envisagées afin de rendre conforme aux exigences de la Convention le cadre juridique régissant la situation des personnes qui refusent de faire leur service militaire pour des motifs de conscience ou religieux ;” (992e réunion DH du 4 avril 2007, section 4.2). Cette décision reprend, à peu de mots près, la décision de la réunion des 13 et 14 février 2007.

En juin 2007, les délégués du Comité des ministres :



  1. "prennent note de ce que les autorités turques ont préparé un projet de loi visant à prévenir de nouvelles violations de l’article 3 similaires à celle constatée dans cette affaire, et que ce projet sera transmis au bureau du Premier ministre en vue de sa soumission au Parlement ;
  2. prennent note en particulier de ce que les autorités turques ont déclaré que ce projet, une fois adopté, permettrait d’empêcher des poursuites et condamnations répétitives pour désobéissance persistante à des ordres militaires à l’encontre de personnes refusant de faire leur service militaire pour des motifs de conscience ou de religion ;
  3. prennent note des informations fournies par les autorités turques selon lesquelles ce projet de loi vise à remédier à toutes les conséquences de la violation subie par le requérant ;
  4. invitent les autorités turques à soumettre une copie du projet de loi au Comité des ministres et les encouragent à prendre toutes les mesures requises en vue d’assurer l’adoption rapide de cette loi par le Parlement ;" (997e réunion DH du 6 juin 2007, section 4.2)

À ce jour, le contenu du projet de loi évoqué n'est toujours pas connu.

Cependant et toujours en juin, Osman Murat Ülke reçoit un nouvel ordre du parquet militaire d'Eskisehir lui demandant de se présenter dans les dix jours au procureur (ndt : également juge d'application des peines en Turquie) pour exécuter la peine de 17 mois et 15 jours due au titre des condamnations précédentes pour insoumission au service militaire, ne pas s'y plier ayant pour conséquence l'émission d'un mandat d'arrêt à son encontre. L'ordre datant du 14 juin 2007, Osman Murat Ülke est donc actuellement sous le coup d'un mandat d'arrêt rendant probable son arrestation et le retour à la case prison.

Ayant été avertis de ces développements par les avocats de Osman Murat Ülke, la Direction générale des affaires juridiques et des droits de l'homme du Conseil de l'Europe a contacté le délégué permanent représentant la Turquie au Conseil de l'Europe pour qu'il demande aux autorités turques de se pencher d’urgence sur l'affaire, la situation étant en totale contradiction avec l'information soumise par la Turquie au regard de l'exécution du jugement de la CEDH.

Osman Murat Ülke lui-même - via son avocat - a porté plainte devant le tribunal militaire d’Eskisehir pour faire annuler le mandat d'arrêt. Cependant le tribunal a rejeté sa requête. Dans son verdict le tribunal indique :

"Le prévenu Osman Murat ÜLKE a été condamné pour des refus d'obéissance persistants dans deux affaires criminelles différentes. Notre tribunal a décidé l'addition des deux peines relatives à ces condamnations, celle daté du 1er janvier 1999, ref.no.1999/190 -19 et celle du 9 mars 1999, ref. no 1999/229-102. Selon la décision collégiale du 20 octobre 1999, ref.no 1999/190-229 et 1999/51 Mut., le tribunal a décidé d'un total de DIX-SEPT MOIS ET QUINZE JOURS D'EMPRISONNEMENT dont la totalité reste à effectuer ;"

Quant aux jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, le tribunal argumente : "En accord avec la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 90 de la Constitution turque, les jugements de la Cour européenne des droits de l'homme sont considérés pour une révision du procès dans le cadre de notre loi nationale. Cependant, le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme concernant le condamné ne comprend pas de clause exigeant une révision de son procès."

Il apparaît de plus en plus clair que l'armée turque tente activement de saboter l'exécution du verdict de la Cour européenne des droits de l'homme. Bien que la CEDH indique clairement dans son arrêté définitif que la condamnation et l'emprisonnement répétés "doivent être considérés comme des traitements dégradants au sens de l’article 3", le tribunal militaire d’Eskisehir pense toujours pouvoir poursuivre sa procédure et renvoyer Osman Murat Ülke en prison.

Dans une affaire différente (2007/1280), la Cour de cassation militaire d'Ankara a jugé le 29 Mai 2007 que punir de manière répétée les refus d'obéissance persistants est légal – ignorant totalement et une nouvelle fois la décision de la CEDH dans l'affaire Osman Murat Ülke. La cour de cassation ne voit même pas le besoin d'argumenter face à la décision de la CEDH.

Dans une autre procédure, l'objecteur de conscience Halil Savda a été libéré le 28 juillet 2007. Suna Coskun, son avocat, a déclaré :

"Halil Savda a été emprisonné le 7 décembre 2006 lors d'une audience de son procès (Urgences-objo du 7 décembre 2006, en anglais). les charges de son procès alors en cours étaient le refus d'obéissance persistant. Alors que ce procès n' était pas clos, un nouveau s'ouvrait pour désertion. Les procédures ont fusionné et Halil Savda a été libéré, uniquement pour être raccompagné à la caserne. Réitérant son objection de conscience, il fut arrêté et renvoyé devant le tribunal militaire, conduisant à un nouveau procès pour refus d'obéissance persistant.

Il fut condamné à six mois d'emprisonnement lors de ce second procès, à la suite duquel il fut emprisonné (Urgences-objo du 12 avril 2007, en anglais). Le verdict du premier procès fut une peine de 15 mois et 15 jours d'emprisonnement (Urgences-objo du 20 mars 2007, en anglais). Ces deux peines signifiées à peu d'intervalle ont fait l'objet d'appels devant la Cour militaire suprême. Cette dernière a décidé de statuer d'abord sur l'affaire pour laquelle Halil était toujours emprisonné. La peine fut confirmée, et Halil est sorti le 28 juillet 2007, jour de complétion de la peine de six mois d'emprisonnement. Il serait sorti plus tôt si les autorités pénitentiaires n'avaient empêché une libération conditionnelle en le mettant à l'isolement.

Actuellement, la Cour militaire suprême doit encore statuer sur la peine de 15 mois et 15 jours d'emprisonnement du procès regroupant les deux premières affaires. Halil peut ne pas exécuter sa peine tant qu'elle n'est pas confirmée. D'un autre côté, il se trouve du coup à nouveau déserteur et de fait, dans la même situation de « mort civile » qu’Osman Murat Ülke, Mehmet Tarhan et Mehmet Bal."

Sources : Déclaration d'Osman Murat Ülke, décision 2007/234 Müt du tribunal militaire d’Eskisehir (27/07/2007), jugement 2007/1280 de la cour de cassation militaire d'Ankara (29/05/2007), Communiqué de Suna Coskun du 30 juillet 2007.

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