Nonviolence Training

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Cela fait peu de temps que les mouvements sociaux coréens ont commencé à utiliser le concept de « voie non-violente de lutte ». De nombreux militant/e/s ont encore une vision négative de la non-violence, considérée comme une forme faible, passive et non résistante de lutte, ce qui est partiellement dû à notre propre histoire.

Durant plus de trente ans après l'occupation coloniale japonaise puis la guerre de Corée, c'est un régime militaire autoritaire qui a dirigé la Corée du Sud. Le régime répondait par la terreur armée aux aspirations grandissantes à la liberté et à la démocratie, à la suite de quoi certaines personnes se sont elles-mêmes saisies d'armes, en parlant de « résistance violente ».

Aujourd'hui, l'État recourt encore à la violence, en particulier contre les militant/e/s, mais de plus en plus de ces derniers commencent à accepter qu'il existe une voie non-violente de lutte.

D'une certaine façon, la résistance non-violente est apparue dans les années 1980, comme celle d'étudiant/e/s refusant d'être envoyés à la frontière du nord, de soldats dénonçant la violence qu'ils avaient subie pendant leur service militaire ou de protestations de civiles mettant en cause les patrouilles de police. Cependant, le concept de non-violence se limitait à une simple forme de résistance.

À présent, on peut dire que les objecteurs de conscience au service militaire obligatoire sont les premiers pacifistes sincères en Corée qui voient la non-violence comme une philosophie de vie. Ils ont plaidé en faveur du droit à refuser des ordres déraisonnables émanant de l'État (quand ce sont le nationalisme et le militarisme qui prévalent) et ils en ont appelé à ce qu'il y a de fondamentalement bon chez les personnes, en leur demandant de remettre radicalement en question l'armée, les armes et la guerre. Les gens ont été profondément remués quand ils ont vu des objecteurs de conscience préférant passer dix-huit mois en prison plutôt que d'empoigner une arme. Elles/ils en sont venus à apprendre le sens de l'acte d'objecter en conscience, en considérant les guerres permanentes provoquées notamment par les États-Unis et Israël.

Le groupe de travail pour l'objection de conscience en Corée se centre à présent sur la délivrance d'une nécessaire assistance, sous la forme par exemple de conseils légaux et psychologiques, à ceux qui se préparent à objecter ; il élargit aussi la connaissance de l'objection de conscience par un ensemble d'activités, comme des conférences de presse, des débats, des campagnes et des actions directes. Les objecteurs de conscience (OC) en Corée sont encore peu nombreux et les exigences pesant sur ceux qui font une déclaration d'objection justifient qu'ils aient besoin de soutien.

Le mouvement des OC n'a pas de position claire à l'égard de l'action non-violente. En 2003, par exemple, quand Kang Chul-min a déclaré son objection pendant qu'il effectuait son service militaire, il y a eu des points de vue contradictoires sur l'opportunité de la tenue d'un sit-in en solidarité avec lui. Des discussions du même ordre ont eu lieu à propos d'étudiants qui ont déclaré leur objection de conscience avant d'être appelés au service militaire. Beaucoup ne voient pas l'objection de conscience comme une forme d'action directe non-violente qui devrait être reliée à d'autres formes d'action directe.

D'autres groupes tenant le pacifisme non-violent pour un principe philosophique de base ont pris une part importante à la lutte contre l'extension de la base militaire états-unienne de Pyeongtaek. Ils ont utilisé différentes tactiques, parmi lesquelles des formes inventives d'action directe non-violente qui étaient en contraste patent avec des méthodes de lutte précédemment usitées. Certains participant/e/s ont décidé d'édifier un « village de paix », en occupant des bâtiments qui avaient été abandonnés pour laisser place à la base et en les transformant en bibliothèque, café et maison d'hébergement et en y exposant des œuvres données par des artistes. Lorsque les bulldozers, soutenus par les forces anti-émeutes de la police et des forces de sécurité privées (« bandits à gage »), sont arrivés pour démolir les bâtiments encore debout dans le village, les habitants et les militant/e/s ont réussi dans un premier temps à empêcher la démolition en grimpant sur les toits, en s'attachant aux bâtisses ou en s'asseyant devant les bulldozers. Les forces gouvernementales ont alors été renforcées – de 4 000 en mars 2006 à 22 000 en septembre – et des centaines de villageois et de militant/e/s ont été arrêtés ou blessés. Malgré tout, certains ont encore essayé de cultiver les terres sous occupation militaire avant de renoncer en février 2007. La dernière veillée aux chandelles de protestation a eu lieu en mars 2007 ; le mois suivant, des villageois et des militant/e/s sont revenus enterrer une capsule temporelle signalée par un drapeau et portant le mot « Retour ».

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Militarisme et patriarcat sont profondément enracinés dans la culture turque. Actuellement, la guerre dans le « sud-est » de la Turquie repose sur la discrimination ethnique contre les Kurdes, même si elle est officiellement décrite comme une « guerre contre le terrorisme ». Toute tentative de contester le militarisme est qualifiée de « trahison ». Les personnes les plus touchées par les conséquences négatives de la violence sont d'abord les femmes, les enfants et les personnes âgées, ainsi que les minorités religieuses, ethniques et politiques. La violence est tellement intégrée dans la société turque que tout point de vue alternatif a été rendu impensable, même parmi celles/ceux qui contestent habituellement la hiérarchie et promeuvent la liberté et l'égalité.

L'influence de la chose militaire est manifeste dans les exemples suivants : Ce n'est qu'après avoir accompli son service militaire qu'un homme est considéré comme un homme « pour de vrai ».

Aussi récemment qu'en 1997, le Conseil de sécurité nationale (incluant les chefs de l'état-major) a refusé que les vainqueurs des élections forment un gouvernement (ce qui a été qualifié de « coup d'État postmoderne »).

Pouvoir économique : OYAK, la société de services financiers de l'armée turque, est l'un des plus puissants investisseurs en Turquie.

Des sondages d'opinion montrent que l'armée est l'institution à laquelle le peuple fait le plus confiance.

L'armée a participé à l'établissement de la république turque par Mustafa Kemal en 1923, suite à l'effondrement de l'Empire ottoman ; les principes kémalistes, qui restent fondamentaux pour l'État, trouvent leur traduction dans le code pénal, le maintien d'une armée puissante et la croyance en « l'indivisibilité de la nation ». Tout cela est à l'origine de comportements répressifs. Peu nombreuses sont les personnes qui voient comme un problème la domination des femmes par les hommes, et la violence physique est amplement acceptée, que ce soit envers les subordonnés, les prisonniers ou à l'intérieur de la famille.

Commencements

Le terme « non-violence » a été utilisé pour la première fois dans les principes de l'Association des résistant/e/s à la guerre d'Izmir (IWRA) en 1992. Au sein de l'association, la non-violence a toujours été un sujet de discussion, notamment les moyens de trouver des voies pratiques pour vivre de façon non-violente dans une culture violente. Nous avons d'abord eu recours à la formation à la non-violence pour nous préparer à des scénarios de visite en prison quand un membre du groupe, Osman Murat Ülke, a été incarcéré pour objection de conscience. Au début, personne de l'extérieur n'a pris contact avec nous pour discuter de la non-violence. À présent, cependant, il y a un plus grand intérêt, même si l'association elle-même a fermé en 2001 suite à la lassitude et à l'épuisement de ses membres.

L'engagement non-violent de l'IWRA contrastait vivement avec l'attitude d'autres groupes progressistes qui ne prenaient pas notre approche au sérieux et tenaient la non-violence pour faible et inefficace. Les personnes principalement impliquées dans notre groupe étaient des militant/e/s antimilitaristes, anarchistes et féministes. Le meilleur accueil réservé à la non-violence est peut-être venu du mouvement lesbien, gay, bi et trans (LGBT), qui se trouvait juste en phase de structuration et qui a adopté des méthodes non-violentes.

Pour les alliances politiques, notre interaction la plus fructueuse a été avec le mouvement des femmes. À nos premiers débuts, nous avons formé un groupe de femmes féministe et antimilitariste qui s'appelait « Féministes antimilitaristes » pour essayer d'atteindre les groupes de femmes. Malgré quelques déceptions initiales, nous avons touché de nombreuses femmes indépendantes et avons commencé à mener des formations avec des organisations de femmes. Cette nouvelle attitude n'était pas sans rapport avec les changements ou la transformation en cours à l'intérieur du mouvement des femmes lui-même, notamment par leur volonté de faire les choses à leur façon plutôt que dans un cadre traditionnel de gauche. La contestation de la violence est devenue une priorité pour les femmes, et la non-violence semblait offrir une réponse. Comme plus de femmes visaient une autonomisation personnelle, notre coopération avec les femmes et avec les groupes de femmes s'est trouvée renforcée.

Le groupe politique le plus proche de nous était le mouvement pour l'objection de conscience, lui-même construit grâce aux efforts de militant/e/s qui œuvraient à la promotion de la non-violence. Même si ce partenariat existe toujours, une tendance individualiste dans ce mouvement – selon nous – rend moins fructueuses les discussions sur la non-violence. Bien que beaucoup d'objecteurs de conscience turcs soient des résistants totaux (autrement dit, ils refusent aussi bien le service militaire que tout service civil de substitution), l'attitude de ce mouvement vis-à-vis de la non-violence est parfois équivoque, en raison notamment du soutien d'objecteurs issus du mouvement kurde et de groupes de gauche.

Initiative des formatrices/-teurs non-violents d'Izmir L'Initiative des formatrices non-violentes d'Izmir (INTI) a d'abord vu le jour comme une composante de l'IWRA qui recevait un soutien d'autres groupes. Notre travail a été aidé et sa qualité améliorée grâce à la coopération de formateurs allemands, notamment lors de stages de formation à Kurve Wustrow en Allemagne, une session internationale de formation pour formatrices/-teurs organisée à Foca en Turquie en avril 1996 et l'accompagnement de deux formateurs allemands qui ont vécu à Izmir de 1998 à 2001.

Quand l'IWRA s'est arrêtée en décembre 2001, l'initiative des formatrices s'est, elle, poursuivie, grâce à l'organisation d'ateliers à Izmir et dans tout endroit du pays où nous sommes invités, y compris à Diyarbakir dans la région en « crise » du sud-est. Aujourd'hui, ce sont cinq formatrices – quatre femmes et un homme – qui y travaillent, essentiellement sur une base de volontariat – seuls les frais de déplacement étant pris en charge, même si de temps à autre nous avons assez d'argent pour rétribuer une coordinatrice/-teur à temps partiel. En juin 2006, nous avons lancé un cours de formation pour formatrices/-teurs avec 20 participant/e/s de tous les coins du pays.

L'objectif de l'INTI est d'établir et de mettre en valeur les structures et les principes non-violents comme une alternative au militarisme, au nationalisme, à la hiérarchie et au patriarcat. Nos activités publiques ont débuté par l'organisation de manifestations et de séminaires sur la non-violence et l'objection de conscience, la publication de brochures (mais la police a confisqué un certain nombre de nos titres à l'imprimerie) et la recherche de coopération internationale. Dans le domaine de la formation, nous avons travaillé avec des militant/e/s de groupes n'ayant pas de représentation parlementaire, pour les droits humains, les droits des femmes, des groupes LGBT et des partis politiques. De plus, le groupe a coopéré avec le Centre pour les droits humains de l'Association des juristes d'Izmir, pour former les juristes et la police sur des questions en rapport avec les droits humains. En général, les sujets traités dans nos formations comprennent la mise en place de structures non hiérarchiques pour un travail de terrain et d'opposition politique, la prise de décision par consensus, une discussion des structures militaristes à l'intérieur de la société (en commençant par la famille) et des alternatives non-violentes. Les comportements individuels et les actions des participant/e/·s constituent toujours le point fondamental et central de nos ateliers. Nous réfléchissons sur des analyses théoriques et des expériences pratiques de non-violence et d'actions non-violentes (en partant de Henry David Thoreau et Mohandas Gandhi pour arriver à des exemples actuels). Nous incluons des réflexions sur des approches anarchistes de la non-violence, sur le Théâtre de l'opprimé d'Augusto Boal et sur les stratégies de non-violence de Gene Sharp.

Notre groupe a la conviction qu'il est possible d'éliminer les inégalités de toute sorte, la discrimination et par conséquent la violence, et de développer des méthodes et actions non-violentes pour le changement politique et social. De ce fait, en partant du principe que « la non-violence n'est pas une aspiration à laquelle viser dans le futur, mais simplement le moyen de parvenir à une telle fin », notre groupe a entrepris de discuter des pratiques de la vie quotidienne qui pourraient paraître « neutres ». Depuis plus de dix ans, notre groupe a appris, pratiqué et enseigné les moyens et les méthodes de la non-violence, comme une attitude face à la vie que nous développons à présent comme un principe même d'existence.

D'abord, nous proposons des formations de « présentation » d'une journée à différentes organisations et à des militant/e/s individuels qui s'interrogent sur la violence. Ensuite, nous proposons des « formations sur un thème » portant sur des points particuliers, à la demande de groupes et suivant leurs besoins ; il y en a déjà eu sur les préjugés, la résolution des conflits, la communication et le sexisme. Enfin, nous travaillons pour proposer une session intensive de « formation pour formatrices/-teurs » d'une durée d'une semaine avec des personnes ayant pris part aux deux premières séances de formation et souhaitant devenir elles-mêmes formatrices ; il s'agit là d'une réponse à une demande toujours plus importante pour un module de ce type. Depuis 2002, nous avons conduit les première et deuxième parties de ces formations avec différents groupes – en travaillant avec des femmes, la communauté LGBT, des groupes engagés pour les droits humains, l'écologie, la paix et l'antimilitarisme à Izmir, Ankara, Antalya, Adana et Diyarbakir.

Les personnes ayant participé à nos deux premières formations et souhaitant devenir formatrices avaient déjà commencé à mettre en question la violence et elles avaient essayé d'intégrer des méthodes non-violentes dans leurs institutions et dans leurs pratiques individuelles. Elles éprouvaient cependant un manque d'information et d'expérience sur « l'action non-violente ». À Diyarbakir, par exemple, nous avons identifié un besoin de formation sur l'élaboration de solutions non-violentes pour des activités fondamentales (comme les meurtres « d'honneur », la violence contre les femmes, etc.). Des participant/e/s devaient acquérir de l'autonomie dans leur travail ainsi qu'une capacité renforcée à utiliser la non-violence pour faire naître de nouvelles solutions à des problèmes courants.

Nous savons bien qu'il est impossible de couvrir l'ensemble des principes de la non-violence en une formation d'une semaine. Une des solutions que nous avons trouvée est de poursuivre le dialogue et de rechercher des possibilités pour de futures réunions de supervision et de retour d'expérience. De plus, durant notre troisième formation, nous prévoyons de former un réseau entre les formatrices/-teurs partout en Turquie après avoir établi les principes opérationnels d'un tel réseau. Cette approche « en réseau » garantira la durabilité de notre dialogue, elle nous permettra de continuer à partager nos connaissances et nos expériences parmi les formateurs à la non-violence et à disséminer de façon collaborative la formation à la non-violence, à un niveau tout à la fois local et national.

Nos objectifs

Nous visons à améliorer et à renforcer la culture de la démocratie et des droits humains en y introduisant le concept de non-violence, à contester la culture de violence (qui, en Turquie, contient une composante militariste et patriarcale) afin de semer les graines d'une culture de non-violence, et à développer la conscience de la discrimination présente dans toutes les conditions de notre existence et que nous combattons. Former des formatrices/-teurs leur permettra de travailler en ce sens en acquérant une expérience pratique et en développant leur capacité à animer leurs propres groupes de formation.

Campagnes non-violentes

Lorsque nous abordons des exemples de campagnes non-violentes en Turquie, nous pouvons dire que ces activités n'ont pas été organisées d'une façon entièrement non-violente. Même si la non-violence en était l'un des principes fondamentaux, certaines organisations ont manqué des qualités requises pour une réelle action non-violente, comme par exemple une préparation adéquate à l'événement par des formations à la non-violence. L'une des plus longues campagnes, de ce point de vue, a été le « Festival du militourisme ». Cette action, menée chaque année le 15 mai (journée internationale de l'objection de conscience), consistait en la visite de symboles militaristes de premier plan dans plusieurs villes, l'organisation d'événements alternatifs et des déclarations publiques d'objection de conscience. Une autre action a été la campagne « Regardons-la en face », visant à reconnaître clairement la guerre en cours en Turquie. Elle s'est étendue sur une année entière, avec des actions phare tous les trois mois. L'objectif que personne ne puisse ignorer cette guerre était atteint par le recours à des techniques non-violentes comme le théâtre de rue. Une autre action non-violente était la « Journée du riz » qui se déroulait à Ankara, centre de l'administration officielle, et en particulier devant une caserne militaire. Nous nous rassemblions là pour dire : « Nous existons, nous sommes là ». En tant qu'antimilitaristes subvertissant les rôles sociaux dans nos activités, nous utilisions le symbole de la Journée du riz pour renforcer la solidarité du groupe et en finir avec notre invisibilité. En dehors de ces activités principales, de plus petites actions et organisations étaient mobilisées à des fins d'intervention politique à court terme.

Épilogue

Bien que nous ayons souvent été marginalisés au long de la brève histoire de la non-violence en Turquie et que nous n'ayons pas été aussi efficaces que nous aurions souhaité l'être, nous acquérons une meilleure visibilité grâce à des alliances forgées avec les mouvements de femmes et LGBT. Le fait que la question de l'objection de conscience commence maintenant à faire l'objet de débats sur la place publique y contribue aussi. Cette tendance se voit confirmée par la demande croissante de différents groupes politiques pour que les méthodes non-violentes et la formation à la non-violence figurent à leur agenda.

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Le 11 septembre 1973, la junte chilienne, soutenue par la CIA et l'administration de Nixon aux États-Unis, a renversé le gouvernement démocratiquement élu du président socialiste Salvador Allende. Priscilla Hayner, dans son livre Unspeakable Truths, Confronting State Terror and Atrocity (2001), souligne l'impact dévastateur de la dictature qui en a découlé : « Le régime a épousé un anticommunisme virulent pour justifier sa tactique de répression, incluant des arrestations massives, la torture (les estimations du nombre de personnes torturées vont de 50 000 à 200 000), les assassinats et les disparitions ». La dictature a assassiné, torturé et contraint à l'exil des milliers d'opposants politiques et intellectuels engagés.

Dans ces circonstances, un lourd silence, fruit des menaces et de la terreur, s'est abattu sur le Chili. Certains parmi nous se demandaient si les approches de Gandhi sur le pouvoir de la non-violence pouvaient être de quelque secours dans le combat entrepris pour défier la terreur.

(La non-violence renvoie ici à une philosophie et une stratégie de résolution des conflits, un moyen de lutter contre l'injustice et, dans un sens plus large, un mode de vie, développé et employé par Gandhi et ses héritiers partout dans le monde. La non-violence est une action qui ne produit ni ne tolère l'injustice.)

Proclamer la vérité

Quelques-uns d'entre nous ont décidé d'essayer d'en inciter d'autres à s'exprimer contre la dictature en « proclamant la vérité ». Nous faisions face à une double souffrance : celle qu'impliquait le fait d'endurer la violence de la dictature, et celle provoquée par le fait de garder le silence à cause de la peur que nous éprouvions. C'était insupportable de ne pas crier pendant que celles/ceux que nous aimions étaient tués et torturés ou disparaissaient. Nous avons imprimé clandestinement des tracts et des brochures. Nous peignions la nuit sur les murs des slogans dénonçant les violations des droits humains, en prenant de grands risques. Le principe de la non-violence active sous-tendait ces actions : face à l'injustice, il faut d'abord mettre celle-ci au jour, sans quoi on en est complices. Les actions clandestines ont contribué à donner corps au principe de dire la vérité et d'agir en conséquence. En dépit des risques, il nous fallait pourtant aller au-delà des protestations clandestines : nous devions déplacer les protestations contre la junte chilienne dans le débat public.

Amorcer le mouvement public contre la torture

José Aldunate, un prêtre jésuite devenu dirigeant du Mouvement Sebastián Acevedo contre la torture au Chili, dit dans ses mémoires : « Un camarade est venu nous voir et nous a exposé les faits (de torture). Nous nous sommes informés sur la torture et sur la dynamique de la non-violence. Nous avons regardé un film sur Mahatma Gandhi. J'étais plus motivé par [la lutte contre] la pauvreté, mais j'ai suivi la discipline du groupe. Nous avons débattu et décidé d'entreprendre une manifestation non-violente pour dénoncer la torture... Pour briser les barrières du silence et de la dissimulation concernant la torture, nous étions dans l'obligation de la dénoncer publiquement. Nous devions agiter la conscience de la population. »

Le 14 septembre 1983, dix ans après la prise du pouvoir par le régime, le mouvement contre la torture est né lors d'une action devant le siège du Centre national d'informations (CNI, service de renseignement) à Santiago. Soixante-dix personnes environ ont coupé la circulation, déployant une banderole qui disait : « Ici on torture ». Elles ont crié leurs slogans dénonciateurs et chanté à un hymne à la liberté. Au moins une fois par mois jusqu'en 1990, le groupe est revenu dénoncer au même endroit les crimes contre l'humanité commis par le régime. L'objectif du mouvement était de dénoncer la torture ; il laissait à d'autres organisations le travail de recherche et de prise de parole.

Afin de pouvoir agir, il nous fallait défier ouvertement les dispositions de l'état d'urgence décrété par la junte dans l'intention de terroriser la population. Nous devions affronter notre propre sentiment d'impuissance, d'isolement et de peur. Mais nous devions aussi mettre en place quelques mesures de sécurité. Le mouvement n'avait pas de lieu de rencontre fixe, ni de secrétariat, ni d'infrastructure. Il se regroupait dans les rues et sur les places au moment même des actions. Il n'y avait pas de liste des membres. Les participant/e/s venaient sur invitation personnelle, le mouvement devant éviter de se voir infiltré par la police secrète et autres organismes de répression. Les consignes étaient transmises d'une personne à une autre. La formation des participants se faisait essentiellement pendant les actions, chacune de celles-ci étant évaluée sur-le-champ.

Les participant/e/s étaient passibles de sanctions légales et illégales quand elles/ils étaient arrêtés et poursuivis, comme c'était souvent le cas. Gaz lacrymogènes, bastonnade, détention et poursuites judiciaires étaient des pratiques de rétorsion communément utilisées contre les manifestants. La torture était aussi une conséquence possible d'une arrestation. Les participants aux actions du Mouvement Sebastián Acevedo n'étaient pas seuls à risquer ces sanctions : c'était aussi le cas des reporters et journalistes voulant faire part de ces actions et des questions qu'elles abordaient. Le nombre des participants à certaines des actions s'est élevé jusqu'à 300. Au total, ce sont environ 500 personnes qui y ont pris part. Il y avait là des chrétiens et des non chrétiens, des prêtres, des moines, des habitants des bidonvilles, des étudiants, des personnes âgées, des femmes au foyer et des membres de plusieurs mouvements pour les droits humains – des gens de toutes les classes sociales, de toutes les idéologies et de toutes les conditions.

L'objectif principal était de mettre un terme à la torture au Chili. Les moyens choisis étaient d'attirer l'attention et d'éveiller les esprits pour développer une prise de conscience par l'ensemble du pays jusqu'à ce que le régime en finisse avec la torture ou que le pays en finisse avec le régime. En 1988, après une vaste campagne pour faire face à l'intimidation, la campagne « Chile sí, Pinochet no » a contribué, à la surprise du dictateur, à faire échouer un plébiscite présenté pour ratifier son mode de gouvernement.

Les efforts ayant vu le jour à cette époque pour mettre un terme à la culture de l'impunité et pour engager la réconciliation nationale se poursuivent, mais les protestations non-violentes ont représenté un important moyen, parmi d'autres, pour faire tomber la dictature.

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Soutien en prison : l'expérience du MOC en Espagne

Mouvement pour l'objection de conscience au Pays basque (KEM-MOC)

                                                                                                                                                                       L'expérience du MOC (Mouvement pour l'objection de conscience) dans l'aide aux personnes incarcérées repose sur une campagne de désobéissance civile contre le service militaire obligatoire (la campagne d'insoumission, de 1971 à 2002), durant laquelle des milliers d'insoumis ont été emprisonnés. Durant cette période, plusieurs façons de soutenir les prisonniers ont été suggérées et testées. L'une des plus appréciées, sans aucun doute, a été celle des « groupes de soutien ».

Imaginons un cas concret pour illustrer le mode de fonctionnement de ces groupes. Bixente Desobediente (« Vincent Désobéissant ») est un insoumis qui devra purger une peine de 2 ans, 4 mois et un jour. Il lui faut convoquer une réunion avec des personnes qui lui sont proches (famille, amis), plus quelqu'un du mouvement des objecteurs. À la première réunion assistent sa copine, sa sœur, trois amis du voisinage, un pote de la fac, un cousin, un gars qu'il a rencontré dans un groupe de discussion antimilitariste et un voisin. Ce groupe étudie sa décision d'être un insoumis, discute des raisons de ce choix et des conséquences que cela pourrait entraîner. Comme les personnes présentes ne comprennent pas toutes des concepts comme la désobéissance civile, la non-violence, l'action directe et l'antimilitarisme, le groupe se penche aussi là-dessus. Au cours des réunions suivantes, elles fixent des objectifs. Après beaucoup de réflexion et de discussions, elles aboutissent aux points suivants.

Soutien émotionnel Il est important de soutenir Bixente pendant la période précédant son procès, au tribunal même, et en prison. Il est suggéré d'affréter un car pour que toutes les personnes le souhaitant puissent aller au tribunal et assistent au procès. On suggère aussi de rendre visite à Bixente en prison et d'encourager d'autres personnes à lui écrire des lettres. L'idée est qu'il ne doit pas se sentir seul et qu'il devrait garder un contact permanent avec des amis qui le soutiennent. Ce soutien devrait également être étendu à ses proches, par exemple à ses parents.

Soutien logistique À la fois avant son procès et en prison, Bixente aura besoin d'une aide matérielle. Avant son procès, il entrera dans la clandestinité pour éviter d'être arrêté et placé en détention préventive ; des personnes devront donc déplacer ses affaires depuis l'endroit où il se trouvera jusqu'à un nouveau refuge, pour qu'il ne soit pas attrapé. En prison, il lui faudra des livres et du papier pour poursuivre ses études. C'est aussi le travail du groupe de soutien.

Travail politique C'est le MOC, le mouvement auquel Bixente appartient, qui est chargé du travail politique. Cela étant, le groupe de soutien peut y collaborer en rejoignant les actions de protestation organisées par le MOC, notamment celles qui sont liées à son procès et à son incarcération. En même temps, le groupe de soutien peut avoir accès politiquement aux endroits où Bixente est connu (comme son environnement proche et l'université), afin de maximiser le bénéfice octroyé par la désobéissance de Bixente et d'autres prisonniers. Le groupe de soutien peut aussi mettre en place une liste électronique de diffusion (e-mails) pour informer sur son cas, ainsi qu'un site Web donnant des informations sur lui, l'antimilitarisme, la résistance fiscale contre les dépenses militaires, l'éducation à la paix et autres sujets liés. De temps en temps, Bixente peut écrire une lettre que l'on pourra faire circuler. Le groupe de soutien peut aussi coordonner son travail avec le MOC (par exemple, un de ses membres peut assister aux réunions du mouvement) en vérifiant que ses actions se situent dans la ligne de la campagne générale menée par le MOC.

Les groupes de soutien constituent une aide importante, non seulement pour le prisonnier mais aussi pour le mouvement de l'objection. Ils partagent leur travail avec d'autres et servent de portes d'entrée pour que des personnes rejoignent le mouvement. La coordination entre le groupe politique, le groupe de soutien et le prisonnier lui-même est essentielle. Il est important que la communication soit stable et fréquente. Les appréciations politiques émanent du mouvement politique, et non de la prison ; cependant, il est important que des membres des deux groupes effectuent des visites en prison afin de développer et de coordonner le travail politique.

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L'évaluation nous permet d'apprendre de nos expériences. Il est habituel que l'on procède à une évaluation informelle d'un événement, que ce soit par des réflexions personnelles, en parlant avec des amis ou en rencontrant un groupe du noyau des organisatrices/-teurs. Ce que nous proposons ici, cependant, est une forme structurée visant à tirer des leçons d'un événement. Au lieu de confier au hasard la possibilité que l'évaluation fructifie ou de la limiter à une « élite », il s'agit ici de la mettre en œuvre comme une activité programmée et collective valorisant l'apport de personnes ayant joué des rôles différents, ayant vécu des expériences diverses et dont le niveau d'engagement est varié. Il est souhaitable que toute personne ayant participé à une action ou organisé un événement soit encouragée à prendre part à son évaluation.

Quand les évaluations font régulièrement partie de notre travail, nous augmentons les chances de rapporter avec véracité nos impressions sur le déroulement et le contenu de ce qui a été fait et d'améliorer les choses dans l'avenir. Gardons présent à l'esprit qu'il y aura certainement des divergences considérables de points de vue et qu'il n'est pas nécessaire que le groupe parvienne à un accord sur ce point. Il est également important de déterminer ce qui a été un succès et, tout autant, ce qui a marché de travers, mais tâchez de commencer, autant que possible, par des évaluations positives. La structure même de l'évaluation doit être soigneusement planifiée.

Certains des points le plus clairement mis en évidence dans une évaluation devraient être quantitatifs : nous avons distribué tant de brochures, nous avons fait venir tant de personnes, nous avons obtenu tant de couverture médiatique, nous avons bloqué une route pendant telle durée. Si ce type d'information est important pour évaluer l'avancée de la campagne, assurez-vous que le suivi en soit garanti, que vous avez un moyen de compter le nombre des manifestants, qu'un groupe « médias » collecte les informations sur la couverture obtenue... Cela étant, il arrive que le jeu des chiffres puisse distraire de la visée principale, particulièrement dans le cas d'actions répétées. Il y a peut-être eu plus de manifestants, mais l'action a eu moins d'impact et les manifestants de la première heure se sont sentis inutiles, elles se sont ennuyées, ont été effrayés ou pour quelque autre raison se sont senties en marge. L'entrée d'une base militaire a peut-être été bloquée plus longuement, mais l'action a atteint moins de monde ou elle s'est révélée moins stimulante. Les appréciations d'une évaluation doivent être liées aux visées stratégiques d'un événement donné.

Voici une liste de points pour vous aider à évaluer une action ; elle peut aussi être utile dans d'autres circonstances de votre travail.

1. Vision, stratégie et objectifs Y avait-il une vision/une stratégie/un objectif d'ensemble ? L'action a-t-elle été pertinente pour le problème/conflit ? Les participant/e/s savaient-elles/ils qui était à l'origine de l'action ? Les participants connaissaient-ils la vision/la stratégie/les objectifs ?

2. Principes et discipline Y a-t-il eu une discussion claire et un accord sur la discipline à suivre pour l'action ? La discipline a-t-elle été suivie pendant l'action ? La tactique prévue et celle réellement mise en œuvre étaient-elles cohérentes avec la discipline ? Un ou plusieurs participant/e/s ont-elles/ils eu le sentiment qu'eux-mêmes ou d'autres participantes avaient manqué à cette discipline préalablement convenue ?

3. Préparation et formation La préparation / la formation étaient-elles apropriées ? La préparation/la formation étaient-elles adéquates ? Ont-elles vraiment aidé les participant/e/s à faire face aux imprévus ? Ont-elles correspondu aux besoins des personnes impliquées ? Ont-elles correspondu aux attentes des personnes impliquées ? Le sentiment de la nécessité de former un groupe s'est-elle développée ?

4. Tactique La tactique prévue était-elle adéquate ? La tactique, telle qu'elle était prévue, a-t-elle vraiment été mise en œuvre ? A-t-elle correspondu aux besoins et aux attentes des personnes impliquées ? Les problèmes inattendus ont-ils été gérés d'une façon adéquate ? Les choses se sont-elles déroulées d'une façon cohérente par rapport à la discipline/la vision/l'objectif ?

5. Organisation La structure/l'organisation de l'action convenaient-elles à son objectif/sa stratégie/sa vision/sa discipline ? L'action avait-elle été organisée d'une façon démocratique ?

6. Impact A. Sur les participant/e/s L'action était-elle pertinente ? A-t-elle stimulé/provoqué la participation ? Les participant/e/s ont-ils eu l'impression de contrôler l'action ? L'action a-t-elle accru l'initiative et la confiance des participants ?

B. Sur les personnes qu'elle visait A-t-elle été comprise ? Les objectifs ont-ils été atteints ? A-t-elle fermé ouvert ou fermé des options pour de prochaines actions ou échanges ? Y a-t-il eu des réponses individuelles d'adversaires différentes de celles des institutions auxquels ils appartenaient ? En quoi ces réponses se rapportaient-elles aux objectifs de l'action ?

C. Sur d'autres personnes L'ont-elles comprise ? L'action les a-t-elle fait s'éloigner ? A-t-elle eu des résultats imprévus ? Certaines personnes se sont-elles rapprochées de nous (neutralisées, attirées, ébranlées?)

(Asterisco) Ce modèle d'évaluation a été élaboré lors du Séminaire international sur la formation à la non-violence qui s'est tenu à Cuernavaca, au Mexique, en juillet 1977.

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Toute action exige une gamme de tâches différentes, certaines très visibles (par exemple, les personnes qui bloquent une rue, la/le porte-parole pour la presse), et d'autres moins visibles, plus à l'arrière-plan. Chacune de ces tâches revêt une même importance, car c'est ensemble qu'elles rendent l'action possible.

Avant une action

Coordination, participation ou organisation Lever des fonds Travail de recherche Inspection du site ou du trajet Projection extérieure et organisation Logistique et soutien Facilitation de réunions Confection d'outils de communication, pancartes, banderoles ; peintres, graphistes, etc. Approche des médias (débouchant sur des suggestions aux médias et des publications) Préparation de dossiers de presse Rédaction

Pendant une action Personnes susceptibles d'être arrêtées (qui commettent des actes de désobéissance civile) Personnes assurant un soutien direct Liaison avec la police Modératrices/moniteurs de la situation Équipe de « remplissage » pour faire masse/diversion Porte-parole médias Projection vers les médias Équipe de communication Manifestant·e·s/port de pancartes/scansion de slogans/chansons Distribution de tracts Tournage de vidéo Photographe Équipe de premiers secours/soins médicaux/infirmiers Observatrices/-teurs légaux Personne de contact pour soutien en prison

Après une action Aide légale (voyez « Aide légale » ci-après) Avocats Documentaliste/historien·ne/archiviste (Voyez « Guide pour l'étude de cas d'une campagne », p. .) Lever des fonds Porte-parole public Rédaction de courriers aux décideuses/-eurs et aux rédactions de journaux

(Asterisco) Adapté de Rant Collective : www.rantcollective.net

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Les dispositions légales sont différentes dans chaque pays. Cependant, pour des actions où il est vraisemblable que des participant/e/s soient arrêtés, il est toujours utile de disposer d'une « équipe d'aide légale ». Les conseils qui suivent, pour la formation d'une telle équipe en Grande-Bretagne, sont adaptés de la première partie d'un guide beaucoup plus détaillé de l'Activist Legal Project (http://www.activistslegalproject.org.uk). Même si l'aide légale reste en arrière-plan d'une action, elle est vitale. Vous pouvez être la/le dernier à rentrer chez vous après l'action, en passant parfois des heures à traîner autour des commissariats en attendant que les militant/e/s soient relâché/e/s. Vous ne serez pas sous les feux de la rampe ni ne serez photographié/e, mais certaines actions sont tout bonnement impossibles sans un tel soutien. Et, si vous n'étiez pas là, certains militant/e/s de « première ligne » n'auraient peut-être même pas pris part à l'action !

Les objectifs de l'aide légale S'assurer que chaque personne se rendant à l'action est préparée pour être arrêtée Être en lien avec la police et les avocats pour s'assurer que les militant/e/s arrêté/e/s jouiront d'une aide légale pendant leur détention S'assurer que, une fois relâchés, les militants recevront le soutien émotionnel et pratique requis

Rôles du groupe d'aide légale Le nombre des personnes impliquées dans le groupe d'aide légale dépendra de l'ampleur de l'action et du nombre d'arrestations envisagées. Plusieurs rôles importants doivent être assurés.

Préparer un sommaire légal écrit pour l'action, comportant des informations sur la procédure d'arrestation, ce qui se passe au commissariat, les infractions probables, les suites probables, les cautions et la première comparution devant un juge Préparer et distribuer des fiches. Pour les personnes se rendant à l'action (ces fiches « aide-mémoire » comportent des numéros de téléphone en cas d'arrestation) Mettre en place une ligne téléphonique (le numéro de l'aide légale) en attendant les appels des personnes détenues dans les postes de police Coordination : préparer et mettre à jour une liste définitive des personnes arrêtées, incluant leurs coordonnées de contact et si elles ont été relâchées Aide au poste de police : soutenir sur place les personnes arrêtées, faire le lien sur place avec les avocats et rencontrer les personnes à leur libération Logistique : prévoir des véhicules, des chauffeurs et la possibilité d'aller chercher et d'héberger les personnes relâchées par la police Organiser après l'action une réunion des personnes accusées ou inculpées

Contrairement aux observatrices/-teurs légales/-aux, qui courent le risque d'être arrêtés lorsqu'elles/ils rejoignent les militants sur le terrain, le groupe d'aide légale ne devrait à aucun stade exposer sa position au risque d'une arrestation. Vous ne serviriez à rien ni à personne à l'intérieur d'une cellule de prison !

Pour plus d'information sur la mise en place d'une aide légale pour une action de masse importante, voyez « Setting Up a Legal Team » (en anglais) sur le site états-unien http://www.midnightspecial.net. Pour plus d'informations légales et un contact pour des ateliers (en anglais) : Legal Activist Project (info@activistslegalproject.org.uk / http://www.activistslegalproject.org.uk).

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Préparation à l'action

Parfois, vous préparerez une action unique, qui sera peut-être votre contribution à la campagne de quelqu'un d'autre ou qui représentera un événement isolé en tant que tel. En d'autres occasions, votre action fera plus largement partie de votre stratégie de campagne, toutes et chacune des actions représentant une étape pour avancer vers l'objectif final de la campagne. Voici une liste de choses à faire qu'il faut garder présentes à l'esprit lorsque l'on projette une action.

Avant l'action

Cadre général Quelle est l'analyse de la situation ? Quel type de structure le groupe va-t-il utiliser ? Qui prend les décisions et comment ? Quel est l'objectif stratégique ? (Par exemple, qui essayons-nous d'influencer et que souhaitons-nous que ces personnes fassent ?) Quel est l'objectif politique (action ou événement) ? Comment cet événement reflète-t-il les objectifs du groupe avant, pendant et après l'événement ? Comment le groupe définit-il son engagement à l'égard de la non-violence ? (Existe-t-il des lignes directrices ou des principes énoncés en la matière ? (Voyez p. ). Quel sera le scénario (en incluant lieu et heure) ? Qui veillera à la coordination d'ensemble de l'événement ? Quand et comment prévoyez-vous que l'action prenne fin ?

Voyez « Développer des stratégies efficaces » et « Éléments d'une campagne » pour plus d'idées et des exercices, p. .

Projection extérieure Le groupe essaiera-t-il de travailler avec d'autres groupes ou communautés ? Dans l'affirmative, avec lesquels et qui établira les contacts ? (Voyez l'exercice « Spectre des alliés », p. .) Le groupe disposera-t-il d'un tract expliquant au public ce qu'il fait ? Dans l'affirmative, qui le préparera ? Quelle publicité ferez-vous ? Essaierez-vous de toucher d'autres personnes pour qu'elles vous rejoignent ? Dans l'affirmative, qui s'en chargera ? Quelle sorte de travail ferez-vous avec les médias ? Émettrez-vous un communiqué de presse préalable ? Y aura-t-il des porte-parole pendant l'événement, prêts à parler à la presse ? Y aura-t-il un dossier de presse comportant des « sujets de discussion » ? Une sous-commission « médias » vous sera-t-elle nécessaire ? (Voyez « Le rôle des médias », p. .)

Préparation des participant/e/s (Bocadillo dibujo) On aurait peut-être dû apporter un Thermos ? À quelles possibilités les participant/e/s à l'action doivent-elles/ils se préparer ? Y aura-t-il des séances d'orientation ? La mise en place de groupes d'affinité ? Une formation à la non-violence? Une formation à des compétences données ? Un point sur les questions légales ? Les participant/e/s sont-elles/ils autonomes pour prendre des décisions sur le scénario ? De quelle façon ? Le mode de fonctionnement du groupe est-il clair pour tout le monde ? Est-il bien clair que de nombreux rôles sont nécessaires pour qu'une action soit efficace, pas seulement ceux qui sont visibles dans la réalisation « directe » de l'action ?

Préparation logistique La logistique portant sur les lieux et le temps est-elle bien organisée ? Tout le matériel nécessaire a-t-il été préparé et y a-t-il un plan de distribution ?

Pendant l'action Y a-t-il un système de communication entre les personnes tenant des rôles comme contact avec la police, observatrices/-teurs légaux, porte-parole médias, équipe médicale, personnes susceptibles d'être arrêtées et manifestant/e/s ? (Voyez « Rôles pendant, avant et après une action », p. .) Qui documente l'action avec des photos et des vidéos ? Le processus de prise de décision est-il clair ?

Après l'action Si des personnes ont été arrêtées, y a-t-il une aide légale et en prison ? (Voyez « Aide légale », p. , et « Soutien en prison », p. .) Le travail de suivi auprès des médias est-il assuré, en diffusant des infos sur l'action aux médias grand public et alternatifs ? Le groupe a-t-il évalué l'action ? (Voyez « Évaluation de l'action », p. .) Le groupe prévoit-il de documenter l'action (en créant une étude de cas) ? (Voyez « Guide pour l'étude de cas d'une campagne », p. .) Quelles sont les prochaines étapes pour le groupe ? Cette action conduira-t-elle au développement d'une campagne ? Si c'est un élément d'une campagne, en quoi cela a-t-il changé la donne ?

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Majken Sorensen

Généralement, on a recours à l'action non-violente pour des questions sérieuses. Envisager une action sous un angle humoristique peut donc sembler être une voie étrange, et non votre première option, pour aborder un sujet. Néanmoins, humour et sérieux peuvent être beaucoup plus intimement liés qu'il n'y paraît à première vue. Le bon humour repose presque toujours sur des contradictions et de l'absurde ; l'action non-violente essaie souvent de montrer la contradiction entre le monde tel qu'il est et tel que nous voudrions qu'il soit. La force de l'humour vient du retournement qu'il opère sur le monde que nous connaissons et du fait qu'il échappe à la logique et au raisonnement qui sont inévitablement à l'œuvre dans le reste de notre existence.

De quelle façon commencer ?

Si l'humour ne vous est pas aisément accessible, ne vous désespérez pas – cela peut s'apprendre. Regardez vos adversaires : s'il y a une contradiction entre ce qu'elles/ils disent et ce qu'elles/ils font, cela ne pourrait-il pas servir de base à une bonne plaisanterie ? Plus vous resterez collé à ce que dit et fait réellement votre adversaire, mieux l'humour fonctionnera. Les dictateurs disent presque tous qu'ils agissent « pour le bien du peuple ». Ce genre d'affirmation peut être contredit par leurs actions.

Recourir opportunément à l'humour

N'en faites pas trop ; l'humour doit être utilisé avec modération et il fonctionne mieux s'il est complété par un message sérieux.

Choisissez avec soin l'objet de votre humour !

Si vous menez une action politique, il vous faut un message politique et vous devez rester dans le sujet. L'apparence des gens, leur façon de parler ou leur sexualité ne sont pas de bonnes accroches. Plaisanter sur ce genre de choses n'est généralement pas un bon moyen pour atteindre d'autres personnes ; de plus, cela distrait l'attention de la question politique que vous voulez soulever. À la fin de cette section du manuel, vous trouverez deux exemples d'actions qui collent à l'objet politique poursuivi et ne font pas dévier du sujet.

Pourquoi recourir à l'humour ?

Recourir à l'humour pour vos actions peut être utile de diverses façons. D'abord, cela devrait être drôle pour celles/ceux qui participent à l'action. L'humour a la faculté de prévenir et de contrarier la lassitude de la/du militant/e, même si ce n'est pas une solution magique.

Utiliser l'humour est aussi un moyen pour avoir plus de chance d'attirer l'attention des médias, des sympathisants potentiels et des spectatrices/-teurs. Sachant qu'elles/ils auront de bonnes photos et une histoire vivante, les journalistes se manifesteront plus vraisemblablement quand vous ferez savoir qu'un événement va se produire. Si vous appartenez à un petit mouvement qui souhaite se développer, l'humour montrera aux membres potentiels que, même si vous travaillez sur un sujet sérieux, vous n'en êtes pas moins capable de profiter de la vie.

La force de l'humour

L'humour est un outil puissant pour établir le contact avec votre adversaire : l'« absurdité » de vos actions modifiera à la fois votre relation et la logique de l'argumentation rationnelle. Tant la police que votre adversaire peuvent éprouver des difficultés à répondre à de bonnes actions humoristiques. Ces dernières peuvent procurer une occasion parfaite pour mettre en place une « action dilemme » : quoi que vos adversaires fassent, elles/ils seront perdants et paraîtront vraisemblablement affaiblis aux yeux des spectateurs et de leurs propres partisans. Mais préparez-vous à des réactions brutales si vous humiliez qui que ce soit. Lorsqu'il est difficile pour vos adversaires de trouver une réaction « appropriée » (adéquate, de leur point de vue), leur frustration peut déclencher une réaction violente.

Exemples d'actions humoristiques

Deux exemples permettent d'illustrer certains des aspects évoqués ci-dessus. Nous ne vous conseillons pas de les copier directement, car il y a des chances que le contexte dans lequel vous vous trouvez soit très différent. Mais elles peuvent montrer à quel point l'humour peut être puissant.

En 1983, en Norvège, un petit groupe d'insoumis intégraux rassemblés au sein du groupe « Campagne contre la conscription » (KMV en norvégien) refusaient tout service, militaire comme civil. Ils voulaient provoquer un débat public pour que soit modifiée la loi qui les condamnait à seize mois de prison. L'État ne voulait pas parler de « prison » et disait plutôt que les insoumis effectueraient « leur service dans une institution administrée par les autorités pénitentiaires ». Pour éviter d'avoir des prisonniers politiques, il n'y avait officiellement ni procès, ni prisonniers, ni peines. Les cas des insoumis intégraux étaient traités par les tribunaux uniquement pour s'assurer de l'identité de l'insoumis et le résultat était toujours identique : 16 mois de prison. Parfois, le procureur ne faisait même pas acte de présence, la conclusion étant dans tous les cas acquise. Le groupe KMV a exploité la chose pour une de ses actions.

Un des militants s'est déguisé en procureur et en a rajouté dans son rôle, en réclamant pour l'insoumis une période d'emprisonnement encore plus longue, eu égard à sa profession (il s'agissait d'un avocat). Durant l'audience, personne n'a rien remarqué d'anormal, en dépit des « excès » du procureur. Une semaine plus tard, KMV a fait parvenir aux médias l'enregistrement vidéo qu'ils avaient tournés en cachette, ce qui a fait bien rire la majorité du public norvégien.

Cet exemple illustre clairement la force propre au retournement. Un ami de l'accusé, jouant le rôle du procureur et demandant un châtiment plus élevé que la loi ne l'y autorise, y parodie le rituel du tribunal. Par cette action, les militants de KMV ont fait la satire de l'absurdité d'une procédure où rien ne peut être l'objet de débats ; ils sont ainsi parvenus à attirer l'attention des médias et des gens « ordinaires ». Outre le fait d'inverser les rôles, la parodie de l'audience a également montré la contradiction entre ce que l'État norvégien disait et ce qu'il faisait. Si les politiques disent que la Norvège est une démocratie et affirment qu'elle n'a pas de prisonniers politiques, pourquoi des gens sont-ils envoyés en prison à cause de leurs convictions ? Et pourquoi cet emprisonnement n'est-il même pas qualifié de peine de prison, mais reçoit une dénomination administrative tenant lieu de service de substitution ? Cette situation est absurde. En la mettant en scène dans un cadre humoristique, KMV coupait court à toute argumentation rationnelle en faisant comprendre aux gens que tout cela n'avait aucun sens.

Dans tous les cas, cette action permet aussi de souligner l'importance pour la/le militant/e recourant à l'humour d'avoir clairement conscience du contexte dans lequel elle/il agit. Si vous souhaitez éviter de longues peines de prison, il n'est pas conseillé d'imiter ce type d'actions.

Dans un second exemple, nous allons abandonner la Norvège démocratique pour la Serbie dictatoriale de l'an 2000, avant la chute de Slobodan Milosevic. Pour soutenir l'agriculture, Milosevic avait fait placer des boîtes dans les boutiques et les lieux publics en demandant aux gens de donner un dinar (la monnaie serbe) pour les semences et les plantations. En guise de réponse, le mouvement de jeunes Otpor a organisé sa propre collecte sous le nom de « Dinar za Smenu ». Smenu est un mot qui a de nombreux sens en serbe ; il peut signifier le changement, la résignation, le renoncement, la retraite ou l'épuration. Cette action, prenant la forme d'un gros tonneau portant une photo de Milosevic, a été répétée à plusieurs reprises en différents endroits de Serbie. Après avoir donné un dinar, les gens recevaient un bâton dont ils pouvaient faire usage pour taper sur le tonneau. Une des fois, une inscription suggérait que, si les gens n'avaient pas de pièce à cause de la politique de Milosevic, ils pouvaient frapper deux fois sur le tonneau. Lorsque la police a eu retiré le tonneau, un communiqué de presse d'Otpor a affirmé que la police avait placé le tonneau en état d'arrestation et que l'action avait été une immense réussite. Ils ont affirmé avoir rassemblé suffisamment d'argent pour la retraite du président et que la police remettrait donc cet argent à Milosevic.

C'est là un exemple d'« action dilemme », car ni Milosevic ni la police ne disposaient de la moindre marge de réaction. Si la police ne retirait pas le tonneau, elle perdait la face. Mais, quand elle a fini par agir, Otpor a poursuivi la plaisanterie en parlant de l'arrestation d'un tonneau et en disant que la police donnerait l'argent à Milosevic pour sa retraite. Quoi que faisait le régime, il perdait.

Vous pouvez trouver le mémoire de Majken (en anglais), portant sur l'humour et la non-violence, sur le site Web de l'université de Coventry (études du Centre pour la Paix et la Réconciliation) : http://www.coventry.ac.uk/researchnet/external/content/&/c4/11/36/v1202125859/user/Humour as Nonviolent Resistance.pdf.

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Les gens protestent pour de nombreuses raisons, mais nous le faisons souvent parce que nous sommes confrontés à une situation face à laquelle nous devons donner une réponse et tenir une position. La réalité que nous vivons – qu'il s'agisse de la nôtre ou de celle d'autres personnes – nous pousse à agir, à réagir, à mettre en cause ou à changer ce que nous éprouvons et voyons. Nous oublions de prendre sérieusement en compte les possibles conséquences d'un choix de cette sorte. Les conséquences positives contribuent souvent à l'autonomisation du sujet. Des conséquences négatives peuvent conduire à une perte d'autonomie. Nous devons réfléchir préalablement à ces deux cas de figure pour nous préparer aux nouvelles étapes, afin de ne pas en être surpris ni souffrir d'un stress encore plus important.

Les conséquences de tenir une position

En tenant une position, nous pouvons nous placer dans des situations qui nous feront atteindre nos propres limites et nous mettront en danger. Si une telle chose se produit, des expériences négatives seront presque inévitables ; la peur se manifestera très vraisemblablement en guise de réponse. Dans des situations d'insécurité et d'angoisse, les sentiments suivants apparaîtront : peur d'être arrêté, peur d'être dénoncé, peur d'être torturé, peur d'être attrapé lors d'une réunion illégale, peur d'être trahi, peur de ne pas atteindre une fois encore notre objectif, peur de l'inconnu (que se passera-t-il si je suis arrêté ?) et aussi du connu, qu'il s'agisse d'une menace spécifique par voie téléphonique ou du fait d'être au courant de ce qui est arrivé à d'autres. Il nous faut savoir ce que nous pouvons faire pour échapper à de telles conséquences ou pour les affronter lorsqu'elles se présenteront. Trois éléments principaux peuvent nous aider à nous en tirer : la confiance et la solidarité de nos collègues militant/e/s, une bonne formation et une préparation émotionnelle associée à un bilan des actions.

Certaines conséquences auxquelles nous devons nous préparer 1. Faire face aux conséquences de la peur

Lorsque nous pensons à des conséquences traumatisantes, nous pensons instantanément aux conséquences physiques, comme être molestés, arrêtés, battus ou voir nos droits humains violés. Ce risque est plus important dans certaines sociétés que d'autres ; les personnes qui manifestent dans des États fortement militarisés et autoritaires sont particulièrement courageuses. Mais, normalement, chacun/e de nous éprouvera au moins une certaine crainte et de l'anxiété et sera au moins conscient/e du risque de subir des souffrances physiques ou des désagréments. Ces appréhensions peuvent nous paralyser. Mais il n'est pas bon de les ignorer. Si nous n'y sommes pas préparés, nos réactions naturelles dans de telles situations peuvent vraiment nous conduire à des dommages plus graves. Par exemple, nous pouvons ressentir l'envie de courir mais, si nous commençons à courir, nous ne maîtrisons plus notre comportement ; celles et ceux qui nous font face peuvent être tentés d'attaquer à ce moment-là. Être préparés rationnellement, émotionnellement et pratiquement est par conséquent important. Se former à contrôler la peur est extrêmement utile. (Voir l'exercice « Conséquences de la peur », p. .)

2. La force de se présenter au grand jour

Nous devons être conscients que nous avons fait le choix de nous situer à l'extérieur des opinions conventionnelles. Ce n'est pas tellement difficile de partager nos façons de penser en privé avec celles/ceux qui partagent notre avis, même si nous pouvons craindre d'être trahis. Mais le revendiquer publiquement est autrement difficile. Nous prenons position non seulement contre l'État mais aussi contre les conventions sociales habituelles. La raison même pour laquelle il nous faut nous manifester est d'ébranler ces conventions, mais le fait de le savoir ne rend pas la chose plus facile. Nous nous exposons nous-mêmes. Pensons aux Femmes en noir (Women in Black) en Israël qui se bornaient à témoigner en silence de ce qu'elles ne pouvaient pas accepter dans leur société. Cette façon de témoigner a maintenant été utilisée en Serbie, en Colombie et ailleurs. La solidarité avec nos collègues est très importante dans de telles situations, car elle permet de créer un espace pour respirer et prendre en charge nos sentiments. Même celles et ceux qui semblent être sûrs d'eux peuvent avoir des soucis qu'ils ont besoin de reconnaître et d'assumer. (Pour pratiquer en ce sens, un exercice comme la « Ligne de querelle », p. , est utile.)

3. Nous préparer à assumer l'angoisse

D'autres risques et conséquences peuvent être plus subtils, mais pour cette raison même plus angoissants. Nous pouvons avoir à affronter le mépris et l'humiliation ou être raillés et harcelés par des spectateurs ou les forces publiques. Les Femmes en noir viennent de nouveau à l'esprit ; un public hostile avait beau leur cracher dessus et les houspiller, elles gardaient le silence et ne réagissaient pas. Une telle situation peut être émotionnellement angoissante. Simuler (voir l'exercice, p. ) préalablement ce genre de situation nous aide à nous préparer émotionnellement et à comprendre plus complètement les motivations (et les craintes) de nos contradicteurs. La solidarité et la confiance entre les participant/e/s sont une fois encore importantes et elles sont partiellement construites par de telles répétitions. Une mauvaise publicité faite aux actions est moins angoissante émotionnellement, parce qu'elle est moins immédiate. La presse, qui peut nous affubler de toutes sortes d'étiquettes erronées, peut mettre en doute notre bonne foi et nos motivations. Nous préparer à une telle humiliation rend plus facile d'y faire face lorsqu'elle se produit.

4. Se placer dans la position de l'Autre

Nous pouvons aussi considérer l'humiliation comme un élément de ce dont nous essayons de témoigner, comme lorsque des participant/e/s tentent de se placer dans la situation même des personnes dont ils prennent la défense. De nombreux groupes ont représenté du théâtre de rue en jouant les rôles des prisonniers et des gardiens de Guantánamo ; des sentiments imprévus ont affleuré et les participant/e/s ont parfois eu du mal à les contrôler. Par exemple, les « prisonniers » peuvent commencer à se sentir vraiment outragés, tandis que les gardiens se voient, soit s'immerger avec trop d'enthousiasme dans l'expérience, soit éprouver une sensation de dégoût. Dans les deux cas, des participant/e/s peuvent se sentir salis et pollués. Pour faire face à de telles éventualités, ils doivent être préparés à de telles réactions intérieures et doivent participer à une mise à plat après l'action. Un autre exemple est celui d'actions contre l'élevage industriel où des militant/e/s utilisent leur propre corps pour représenter des morceaux de viande. Les réactions peuvent être de se sentir véritablement enthousiasmé et libéré par le fait même de manifester publiquement un point de vue ou, inversement, d'être troublé par la situation dans laquelle on s'est soi-même placée.

5. Assumer la désillusion

Il arrive parfois que l'on ait peu de problèmes avant et pendant l'action, mais qu'un réel contrecoup survienne plus tard lorsqu'il semble que celle-ci n'a eu aucun effet. Les énormes manifestations du 15 février 2003 contre la guerre en Irak n'ont pas arrêté la guerre. Nos pires craintes se sont concrétisées. Sans que cela soit surprenant, bien des gens se sont trouvés déçus et impuissants. Ils se sont évidemment demandés : « Cela valait-il la peine de le faire ? » Il se peut qu'ils ne veuillent plus participer dans l'avenir à de nouvelles actions sur ce sujet ni sur aucun autre, en estimant que ce serait inutile. Que peut-on faire pour répondre à cette désillusion ? Il faut trouver le moyen de réfléchir ensemble sur ce qui est arrivé et sur les enseignements à tirer de l'expérience vécue (voir « Évaluation de l'action », p. ). Nous devons ajuster nos attentes. Les actions sont importantes pour montrer notre force, mais elles n'arrêteront pas une guerre à elles seules.

6. Assumer la réussite

De même que nous pouvons avoir le souci qu'une situation évolue plus mal que prévu, nous pourrions, non sans paradoxe, avoir du mal à affronter ce qui pourrait sembler de prime abord positif ou couronné de succès. C'est par exemple le cas si les forces de sécurité se conduisent plus humainement que nous ne l'avions prévu ou que les autorités engagent avec nous le dialogue en paraissant vouloir prendre nos demandes en compte. De tels résultats peuvent avoir un effet déstabilisant si nous nous sommes blindés en vue d'une confrontation. Que devient toute l'adrénaline qui s'est emmagasinée dans nos corps ? Comment de tels développements influent-ils sur notre approche ? Notre approche est-elle erronée ? Devrions-nous accorder plus de confiance au système ? Ou nous laissons-nous bercer par de jolies phrases ? Notre mouvement peut parvenir à être plus soudé lorsque nous sommes confrontés à de rudes adversaires et peut se fendiller dans le cas opposé. Nous devons par conséquent être prêts à savoir quelles réponses peuvent être les plus efficaces et tester les options possibles. Ainsi, quand et si cela se produit, nous serons mieux en mesure d'apprécier collectivement la situation et d'agir de façon idoine.

7. Quand les niveaux d'agressivité s'élèvent

Beaucoup d'entre nous ont été choqués par l'agressivité qui se fait jour lors d'une action non-violente – et pas seulement du fait de celles/ceux qui s'opposent à l'action. Nous pouvons sentir monter l'agressivité en nous lorsque nous sommes traités durement par les autorités. Même si nous ne réagissons pas, une telle sensation peut nous mettre très mal à l'aise et nous faire douter. Ou d'autres participant/e/s peuvent faire tourner l'action à l'émeute, et nous devons être capables de trouver une réponse adéquate. Les rejoignons-nous, nous en allons-nous ou maintenons-nous le cap, en poursuivant l'action non-violente comme prévu ? Dans de telles situations, on n'a guère le temps de réfléchir ; il faut donc envisager les différentes possibilités à l'avance. Nous devons définir clairement les options, afin que des décisions puissent être prises sereinement. (Voir les exercices « Prise de décision » et « Jeu de rôles », p. et p. .)

Contextes variés

Au Nord, nous pouvons agir dans des États et des cultures qui affirment être libéraux et démocratiques. Ou nous pouvons subir un régime autoritaire. Mais nous ne devrions pas supposer qu'il est plus facile de protester dans les démocraties libérales, car certains des États concernés peuvent répondre d'une façon très brutale aux actions. D'autres facteurs peuvent déterminer la capacité et les limites de l'action. La société peut être fermée ou ouverte. Dans une société fermée, les risques sont plus grands : les dissident/e/s peuvent disparaître et la moindre transparence n'est guère du domaine du possible. Un État peut disposer d'un système judiciaire fonctionnel, indépendant du gouvernement, qui peut intervenir comme gardien des droits de l'être humain et de la violation de ceux-ci. La culture d'une société est également un facteur significatif ; elle peut accorder une grande valeur à la conformité aux normes et au respect de l'autorité. Une société peut aussi se sentir faible et vulnérable face à la pression de la modernité ou sous l'influence d'autres États ; dans de telles situations, toute forme de protestation peut être considérée comme déloyale et destructive.

Même s'il est plus difficile d'agir dans certaines situations que dans d'autres, toutes les questions traitées ici peuvent être abordées dans n'importe quel contexte, quoique avec une intensité variable.

Conclusion

Si nous nous préparons au mélange d'émotions et de réactions pouvant résulter de notre action, que nous construisons une solidarité avec nos collègues, et que nous analysons et mettons à plat les conséquences de nos actions, nous sommes alors mieux placés pour poursuivre le combat pour une société meilleure, même si nous savons bien que l'objectif ne sera pas atteint de notre vivant, si tant est qu'il le soit un jour.

Quoi qu'il en soit, si nous ne nous préparons pas correctement et n'assumons pas les conséquences de nos actions, nous pouvons finir par n'aider personne, pas même nous-mêmes. Nous pouvons être en proie au découragement et décider d'abandonner, ou nous lancer dans d'autres stratégies qui peuvent se révéler contre-productives, comme la politique classique et le recours à la force. Ou nous pouvons tomber dans un schéma de protestation tournant à vide, dépourvu de la moindre visée stratégique. Dans un tel cas, nous pouvons donner superficiellement l'impression de continuer à être engagés dans la lutte et les autres peuvent admirer notre constance, mais nous déployons toute notre énergie sans la canaliser vers un objectif. Notre inefficacité et notre détermination peuvent décourager d'autres personnes à s'engager. Si – comme je le crois – nous avons le devoir de protester, nous avons aussi le devoir de nous préparer correctement, en identifiant les risques encourus pour notre bien-être physique et émotionnel, et en prenant des mesures pour garantir que nous serons en mesure de contrôler ces risques et de poursuivre le combat d'une façon efficace et positive, en restant fidèles à nos idéaux. Enfin, mais ce n'est pas secondaire, continuons de tenter des choses, prenons plaisir en agissant et, de ce fait, donnons sa chance à la paix. Nous ne sommes pas les premiers à le faire, ni ne serons les derniers.

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Préparer et animer une formation à la non-violence suppose un ensemble de tâches que plusieurs personnes peuvent répartir entre elles. D'abord, les organisatrices/-teurs de la campagne doivent être conscient/e/s du type de formation nécessaire et la prévoir au moment idoine. Le groupe a-t-il besoin d'une formation sur l'élaboration stratégique d'une campagne ou sur la sensibilité aux questions de genre ? La formation est-elle nécessaire pour préparer un nouveau groupe de personnes à participer aux actions non-violentes ou pour qu'un groupe expérimenté acquière de nouvelles compétences ? Des groupes d'affinité ont-ils besoin d'une formation aux processus de groupe ?

Une fois la décision prise d'organiser une formation, il faut des formatrices/-teurs. Comme déjà indiqué dans « Formation à la non-violence » (p. ), s'il n'y a pas de formatrices/-teurs disponibles, créez une équipe de cofacilitatrices/-teurs pour assurer la formation. Ce chapitre comporte des listes pour aider à organiser, planifier et animer des formations.

Il faut que les organisatrices et les formateurs parlent entre elles/eux avant de travailler sur leurs tâches respectives. Un manque de clarté et de préalables posés par les formatrices et les organisateurs peut déboucher sur une formation inefficace. Une formation peut représenter une occasion importante pour tester des plans, pour déceler des faiblesses dans le groupe ou pour inclure de plus nombreuses personnes dans le processus. Un formateur doit être ouvert à de tels objectifs.

Si les formateurs font partie du groupe, il faut qu'ils soient clairs sur leur rôle en tant que formateurs. Même si elles comprennent le contexte, le groupe, la campagne, le scénario d'action, etc., mieux qu'une facilitatrice extérieure, les formatrices profondément impliquées dans l'action peuvent avoir du mal à se placer dans un rôle différent ; une clarification des rôles peut être une aide à ce stade.

Les chapitres « Campagnes non-violentes » (p. ) et « S'organiser pour des actions non-violentes efficaces » (p. ) contiennent des informations qui peuvent aider les formateurs et les organisatrices à comprendre ce qu'elles/ils doivent faire et ce à quoi ils devraient peut-être se former eux-mêmes.

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